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Typote time : un joyau de technologie

Si l’exposition Bijou Bijoux vous émerveillera par la délicate beauté des œuvres présentées, nos collections permanentes regorgent, elles aussi, de vraies pépites.

Aujourd’hui, j’attire plus particulièrement votre attention sur un joyau de technologie : la Linotype. 


Notre musée s’enorgueillit d’ailleurs de posséder deux modèles emblématiques en état de fonctionner : une vénérable Linotype type 5 datée de 1906, visible à l’atelier et une  jeunotte Intertype de 1930, dans le parcours permanent (une vidéo de son fonctionnement y est présentée).

Bien qu’inventée en Allemagne par Ottmar Mergenthaler le 12 mai 1885, c’est aux USA que verra le jour cette composeuse-fondeuse mécanique qui révolutionna le monde de la typographie à la fin du XIXe siècle. 
La presse quotidienne lui doit son développement, et ce succès valut à son génial créateur d’être surnommé le Second Gutenberg

Gutenberg et Mergenthaler. Destins similaires de deux génies allemands, formés initialement à des métiers étrangers aux arts graphiques : l’inventeur de la typographie en 1450 était orfèvre ; le père de la Linotype était horloger. En transcendant leurs formations originales, ils bouleversèrent tous deux le monde de l’imprimerie à tout jamais.

Le fonctionnement de la Linotype est digne d’une montre suisse. Son nom, signifiant Line-Of-Types en anglais (ligne de caractères), donne une idée de son fonctionnement : elle fabrique mécaniquement des lignes pour l’impression.

Avec ses 2,10m de haut et 1375kg, la carrure imposante de la belle new-yorkaise n’impressionna pourtant pas les petites mains habiles et rapides des linotypistes, hommes mais aussi femmes, qui tapèrent frénétiquement (souvent de nuit) toutes les « tartines de textes » des articles des journaux, livres, éditions diverses, mais aussi travaux de ville, libérant de ce travail fastidieux les compositeurs typographes, qui, dès lors, se consacraient à la mise en page, titrage, caractères fantaisies ou de grande taille, publicité etc. 

Ces opérateurs, tous compositeurs diplômés (3 à 5 ans), maîtrisant les règles typographiques et l’orthographe, s’y spécialisèrent (1 à 2 ans supplémentaires). Forts des prérogatives liées à un tel niveau d’apprentissage, à la pointe de la technologie de l’époque, ces linotypistes régnèrent longtemps en maîtres dans les imprimeries, n’hésitant pas à soumettre les collègues typographes à une dictature, amicale certes, mais ferme. De vraies divas des ateliers ! 

Cette hégémonie ne s’effrita qu’après 1960 avec l’arrivée de la photocomposition, marquant la fin du plomb. Mais, c’est une autre histoire.

D’aspect, la Linotype présente de multiples facettes : une partie destinée à la composition de lignes-blocs en un seul tenant ; le creuset contenant l’alliage de gravure-fonte ; une partie pour la distribution automatique. Si elle paraît presque omnisciente, la Linotype n’imprime pas, il ne faut pas exagérer !

Tout commence par le choix du caractère et du chargement du magasin désiré sur la machine. Certains magasins (correspondant aux casses typographiques) pouvaient peser jusqu’à 70kg. C’est pourquoi, on évitait la plupart du temps de les changer. Dans certaines grandes imprimeries telles que le Progrès de Lyon, des Linotypes positionnées en rang d’oignon, s’alignaient, chacune chargée d’une police et d’un corps. Si bien qu’il était possible qu’un linotypiste y officiant, tapât toute sa vie en 12 Garamond, et son collègue en 14. Une répartition du travail dictée par un taylorisme exacerbé en cette période de révolution industrielle, où chaque poste, chaque tâche était pensée pour augmenter les cadences et optimiser le rendement.

Assis devant son clavier alphanumérique, l’opérateur pianote délicatement et déclenche le lâcher d’une matrice en laiton (moule avec le dessin d’un signe en creux), contenue dans le magasin. Celle-ci rejoint, en ribambelle, d’autres signes de la même ligne jusqu’au composteur. Un doux cliquetis métallique se mêle alors au chuintement lascif des courroies de cuir, faisant danser en rond des engrenages d’un autre temps, évoquant quelque peu le bruit d’une machine-à-sous. Néanmoins, l’heure n’est point au jeu, mais à la concentration. 

En actionnant un petit « bitoniau », le linotypiste peut obtenir de chaque matrice duplexée qu’elle se positionne en romain ou en italique. 

Pendant la composition, à l’arrière, se trame, discrètement, un complexe système d’articulations de cames mystérieuses, ressorts multiples, mécanique bien huilée qui nous rappelle clairement que son inventeur, Ottmar Mergenthaler, était un grand horloger. À la place du coucou suisse, on trouve même une petite cloche qui tintinnabule non pas pour sonner les heures, mais pour prévenir que la ligne est trop pleine.

Ensuite, la justification de la ligne se fait rapidement, grâce à des espaces-bandes coulissantes venant sertir le laiton rutilant des matrices, les bloquant idéalement. Repu, le composteur n’a plus qu’à présenter le creux des matrices au-devant des mâchoires métalliques : la bouche d’extraction. 

Une roue-moule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, prête à recevoir le métal en fusion.

Tout à coup, le bâti de la linotype vibre imperceptiblement, semble peser encore plus lourdement sur ses pieds. Soudain, la petite ritournelle un peu aigüe du début se mue en un son plus grave, plus profond. C’est le moment que redoute chaque apprenant : la ligne va-t-elle sortir ? Le temps semble comme suspendu…

À ce moment-là, un piston plonge verticalement dans le creuset chauffé à 300°, qui, sous cette impulsion, s’arque vers la bouche d’extraction, déversant son précieux alliage. Plomb, étain et antimoine  pénètrent les creux des matrices alignées dans le composteur. C’est la gravure.

Aussitôt, une ligne de 28 cicéros (environ 12,6cm) de long, flambant neuve, en relief, déjà figée mais encore chaude, jaillit des entrailles d’acier et vient prendre place sur la galée (plateau de réception), attendant patiemment qu’un typographe vienne la mettre en page. 

Quelques petites paillettes de métal, rognures indésirables, surviennent habituellement sous les pieds de l’opérateur, qui immuable, est déjà passé à la ligne suivante. 

Simultanément, un bras de fer descend vers les matrices ayant déjà œuvré, les remonte dans une vis sans fin surplombant le magasin et les distribue automatiquement grâce à un ingénieux codage binaire à sept positions d’encoches, attribuant l’emplacement des 90 matrices à leur canal propre. 

Il existe même un petit conduit annexe, sorte d’itinéraire bis pour solitaires cuivrés, où les caractères spéciaux plongent et glissent jusqu’à un petit casseau latéral après une courte errance dans la vis sans fin. Ici, + ; < ; ¾, combinés de téléphone ; ® ; £ ; % ; # ; @ ; * et tutti quanti trouvent un écrin protecteur.

Cette distribution automatique est LE réel avantage de la Linotype. Que de temps gagné par rapport à la distribution manuelle, étape lente occasionnant mastic ou coquilles (erreurs) dans les casses des typographes !

Un tel trésor de technologie n’était pas à la portée de toutes les imprimeries, seules les plus prospères pouvaient prétendre en posséder.

Et, bien sûr, les risques inhérents à l’usage du métal en fusion étaient présents, c’est pourquoi, les linotypistes étaient scrupuleusement et longuement formés. Toutes les précautions étaient donc prises pour éviter les bourrages, fausses manipulations, humidité ou pannes occasionnant un dangereux crachat brûlant ! Par chance, les opérateurs étaient très précautionneux et rares étaient les incidents de ce genre. 
Aujourd’hui, le péril est tout autre : s’il demeure de nombreuses composeuses mécaniques comme la Linotype, les linotypistes en âge d’exercer sont, eux, devenus des perles très, très rares. 

Quant aux introuvables mécaniciens-réparateurs sur Linotype, en découvrir une mine, l’ombre d’un filon ou juste un seul exemplaire est devenu encore plus exceptionnel que la découverte d’un Kohinoor, d’un Cullinan ou d’un Youkounkoun… 

Fernande Nicaise, compositrice typographe
 

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